Et si avoir à communiquer en interne était insatisfaisant ? – Tribune de Philippe Lentschener dans People at Work

22 mai 2024

Nous lui consacrons une attention croissante et nous avons bien raison. Nous avons raison de penser que l’ensemble de l’entreprise doit être irriguée par son Purpose, mais faisons-nous bien la différence entre la nécessité de couvrir ces publics internes et parties prenantes et la façon dont nous le faisons ?

La façon dont nous le faisons ce n’est pas se pencher sur la qualité des idées présentées. La façon dont nous le faisons c’est se pencher sur les conditions même de son existence.

J’ai une cliente, présidente d’un sublime groupe, qui a globalement raison 99% du temps. Lors d’une revue prospective annuelle de son activité, assez mécaniquement, je lui ai présenté une section « marque employeur ». Elle était bien pensée, avec des concepts formidables. Et je l’ai vu faire la moue. Une moue de celles qui vous énervent, une moue vous disant que vous vous êtes fait attraper par la patrouille, le genre de moue qui vous font dire « mais nonnnnnn … évidemment, j’aurais dû y penser, zut », le genre de moue qui vous font réaliser que parfois vous faites bien les choses en oubliant juste qu’il ne fallait peut-être pas les faire, et vous les faites quand même, d’autant plus que vous aimez cela et que vous les faites bien.

La doxa se vêtit parfois d’oripeaux lumineux, et elle n’est pas toujours décelable en marketing.

Elle m’a dit : « je n’aime pas cela ». « Cela pèse lourd, c’est disgracieux », « si on en vient à faire cela c’est terrible, car cela signifie que s’il fallait le faire cela veut dire qu’ils n’avaient pas compris ? qu’il fallait les stimuler ? quel échec ! », « tes concepts sont formidables, mais soit c’est de la pub et bravo, soit, si c’est autre chose, en l’occurrence une marque employeur c’est l’aveu terrible qu’une piqure de rappel est indispensable ».

C’était tellement juste.

Il y a une marque employeur lorsque la marque n’est pas employée. Si la marque est employée partout, toujours et tout le temps, si la société vit le long du cours d’un Purpose, comment penser à une marque employeur ? Il y a marque employeur si la marque est une séquence de la vie de l’entreprise. Il y a marque employeur si le naturel est revenu au galop, si la communication est ressentie comme quelque chose d’important certes, mais un des éléments du mix comme on dit.

Il y a marque employeur quand le transactionnel l’emporte et que l’on fait de la communication pour donner un peu de clinquant au cadre, pour faire voir d’une jolie façon ce qui serait vu comme banal, performant certes, voire best in class, mais transactionnel.

La marque ce doit être l’entreprise. La marque ce doit être l’air que respire l’entreprise. La communication interne doit être un non-dit car l’entreprise doit vivre au rythme de son Purpose, comme lorsque Reebook, crée ses boucles whatts’app #fitasscompany, ou E-ON ses profils Linkedin « fermiers du ciel » ; en vivant au rythme de sa pensée, l’entreprise communique en interne sans communiquer lourdement.

Les marques employeur ont été intéressantes il y a 15 ans, elles le sont de moins en moins. Quand LVMH dit Craft the Future, est-ce que cela lui apporte quelque chose ? LVMH a fait un rapt incroyable sur l’art moderne, le groupe a créé une grammaire de la « survaleur » à travers ceci, et … Craft the future ? Quand Danone a fait une marque employeur en disant « Join a leader where you can lead », « you are looking for fullfilment we are looking for you» ; sincèrement …Si une idée de marque employeur est forte, elle est candidate à devenir le flagship de la communication.

Il y a 11 ans nous nous étions penchés sur ce sujet avec Nespresso. La société recevait trop de CV. Formidable ? Non ? Car si ces cv ne sont pas qualifiés, si les gens écrivent pour travailler chez un MFCG et non dans le « luxe », vous touchez du doigt cette double peine : 1/ vous n’êtes pas centré sur les bons candidats, 2/ comme vous êtes éthiques, vous répondez à tous les courriers et cela vous embourbe une personne. En plaisantant nous disions toujours « le café qui est chez Nestlé par erreur et qui devrait être chez LVMH ». Nous avons fait un film marque employeur sur cette stratégie. Nous avons fait un parallèle entre les métiers du luxe et les métiers du café et leur quête absolue du geste parfait, nous avons produit un film du même nom : la quête du geste parfait. Il fut d’abord diffusé sur le site de la marque, puis chacun sentant son potentiel inattendu et incroyable, nous l’avons testé contre la saga « what else ». Le différentiel de résultat fut inimaginable. La publicité de George Clooney touchait les highest high en image, mais sa conversion business était extrêmement faible. Nous l’avons passé le soir sur des chaînes d’infos après 23.00, puis constatant les scores, ce film devenu une alternative positive supérieure a supplanté la saga, et seule la politique l’enverra des mois plus tard aux oubliettes de l’histoire.

Nespresso est désormais l’archétype de la marque employée. Des magasins aux boutiques, des cafés aux crus, des vendeurs aux coffee specialists ; des barmans aux baristas ; et the Positive cup, et la B Corp, et tant de choses, chaque moment est dédié à la recherche de l’excellence. Ce sujet est surprenant et s’étend plus loin qu’on ne le pense. Il questionne les champs de la communication corporate. La seule bonne communication aujourd’hui c’est le spectacle de ce que fait l’entreprise. L’image pour l’image et par l’image ne protège plus.

Les seules stratégies viables sont les stratégies endogènes, nous appelons cela la Souveraineté Stratégique on le sait, mais si nous y tenons tant c’est que chaque jour nous prouve un peu plus que c’est la bonne lecture des enjeux actuels de la communication. Il s’agit de définir dès sa genèse une stratégie endogène qui génère en son sein les forces qui la feront vivre et grandir harmonieusement. Une puissance venant de l’intérieur, une marque « factorielle » qui génère les formes que prend son expansion. Ainsi les questions de la capacité à maîtriser le positionnement, d’empêcher les autres de commettre un rapt dessus ne se posent plus, comme ne se pose plus la question de réussir à en faire un moteur interne puisqu’il l’est !

C’est un mouvement continu, exponentiel, qui agit comme un exposant mathématique. Une sorte de marque « puissance nous ». En la concevant, nous savions que la Souveraineté Stratégique retissait le canevas de la communication en tissant ensemble les fils de ses leviers, en ramenant les sciences sociales et humaines dans le jeu, en présentant la stratégie au digital, en faisant le lien entre les différentes temporalités des marques. Nous savions qu’elle offrait enfin un confort à ceux qui gèrent le sujet le plus en pointe aujourd’hui ; la user-experience et la gestion de toutes les datas client first party qui ainsi sont plus qualifiées, plus sensibles, et uniques, nous pensions que la force de la Souveraineté Stratégique était de ne pas confondre moyen et fond, mais nous n’imaginions pas à quel point, et nous n’avions pas questionné la marque employeur. Il aura suffi d’une moue.

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